Prendre la bonne mesure du dispositif Action Cœur de Ville comme préalable au projet

Tantôt adoubé comme un outil salvateur, parfaite réponse aux difficultés actuelles (« plan qui tombe à pic », « facilitateur de la relance », « nouveau paradigme autour de la revitalisation des territoires »). Tantôt décrié pour son faible effet d’entraînement et ses retombées disparates qui projettent sur les centres-villes un goût (salé) de reprise commerciale inachevée (81 % des 222 communes concernées se sont engagées dans des projets d’extension périphérique ces dernières années et le phénomène de vacance reste encore très fort). Tantôt questionné par ces apparentes lourdeurs et un cadre « rigide » à comprendre, Action Cœur de Ville est un dispositif qui tente de ne plus voir la centralité sous le seul prisme d’un habitat à adapter et à remettre au gout du marché, d’un foncier à reconquérir, ou d’un commerce à revitaliser, mais bien comme une chaine de valeur et d’interactions qui font système.

Capitalisant sur les expériences passées (pèle mêle : « 20 villes moyennes de demain » de 2007, « AMI centre-bourg » de 2014, « centre-ville de demain » de 2016), ACV est un plan hybride se jouant des échelles entre tradition colbertiste (empreinte et interventionnisme étatiques forts) et malléabilité de l’échelon territorial local, permettant de proposer un périmètre de projet incitatif : l’ORT. Action cœur de ville est également une ingénierie de projet au service et au chevet des collectivités avec un large gradient d’expertise mobilisable au besoin. Enfin ACV c’est la mise en réseau d’acteurs, qui se traduit d’ailleurs ici et là par des logiques de mutualisation d’actions entre communes riveraines ou membre d’une même intercommunalité.

Ce plan est transverse. Mais pour qu’il fonctionne il se doit de dépasser le stade du plan. Il se doit de muter en une véritable stratégie qui reflète une ambition de développement sur le temps long. Il ne doit pas être vu par le territoire comme une fin en soi mais comme le « début de quelque chose » ; une initiation à la prospective opérationnelle, la mise en branle d’un processus scénarisé qui ne cède pas aux sirènes de l’effet d’aubaine. Le politique doit s’en saisir, non pas comme un dispositif en plus, non pas comme une machine à délivrer de l’expertise (et par extension de la machine à cash) mais comme une opportunité de comprendre, d’analyser, de mettre en lien, de faire discuter, de privilégier et mettre en valeur un centre-ville dont l’avenir se doit d’être pensé, en complémentarité des dispositifs déjà en place (OPAH, ZPPAUP, foncières par exemple), mais également avec la géographie des lieux qu’elle soit humaine, économique et démographique. Ce positionnement impose, à l’heure du pré-bilan (qui coïncide avec le passage à l’étape 2 qu’est l’élaboration d’un plan d’actions), de faire un pas de côté, et de ne pas voir la réussite d’ACV sous le seul signe des chiffres et des analyses macro-économiques mais bien sur la capacitation nouvelle à agir et à affronter l’avenir de manière transversale et singulière.

Les collectivités sont par natures inégales géographiquement. L’aménagement des territoires n’a rien de linéaire. Certaines collectivités ont des difficultés à animer le dispositif (manque de moyens humains, difficulté d’appréhender le dispositif et le système d’acteurs et de prises de décision qui en découle, absence de portage politique et choix de mener à terme d’abord d’autres dispositifs ou modifications du cadre réglementaire, …) quand d’autre ont pu s’en saisir pleinement. La ville d’Epernay fait partie de ce deuxième groupe.

Epernay, un centre-ville qui ne part pas d’une feuille blanche

Epernay est une ville qui n’a pas attendu le dispositif Action Cœur de Ville pour structurer sa pensée, élaborer des politiques prospectives, se poser la question du « qui-suis-je » ? Ainsi depuis une dizaine d’années des réflexions ont été menées autour du tryptique : valoriser – intégrer – animer.

Valoriser :

  • Par l’inscription de la ville au sein du patrimoine mondial de l’UNESCO (Côteaux, maisons et caves de champagne),
  • Par la reconnaissance d’un patrimoine paysager du quotidien de qualité avec le label d’excellence 4 fleurs,
  • Par le réaménagement de l’Avenue de Champagne et la réhabilitation du Château Perrier qui lui permettent d’attirer les chalands, de la faire découvrir et de la faire rayonner au-delà des limites régionales.

Intégrer :

  • Le développement durable comme support de la ville de demain (Agenda 21 : ville respirable, TEPCV, Ambition climat 2025)
  • La question des conditions d’habitabilité d’une centralité au bâti vieillissant (OPAH-RU en cours)
  • Au centre-ville des espaces dont la vocation est encore à définir (friches, dents creuses, …)
  • De nouveaux habitants et offrir aux riverains actuels des réponses adaptées à leurs besoins
  • Les évolutions numériques dans le champ de l’action publique

Animer : par la mise en place d’évènements qui fédèrent (habits de lumière, les apéros de la Halle) et d’activités qui mettent en scène la ville (ballon captif, …)

Tout a ainsi débuté, par une vaste revue d’effectif entre capitalisation d’études existantes, analyse critique et identification d’items restant à développer. De larges déambulations et visites commentées ont permis de prendre en photos, montrer, nommer, pointer du doigt, entourer, griffonner sur plans et feuilles de papiers les éléments de blocages, les signaux faibles, le déjà là qu’il reste à activer. Car bien que porté par les locomotives que sont les grandes maisons de Champagne (inscrit à l’UNESCO), le centre-ville d’Epernay est confronté à des dynamiques structurelles qui fragilisent son attractivité.  L’hypercentre voit son parc de logements se dégrader progressivement. Les parcours touristiques et marchands sont peu lisibles et restent polarisés autour de l’avenue de Champagne qui draine les flux et provoque un déséquilibre d’image qui n’incite pas à la découverte du centre-ville dans son entièreté. Certains espaces publics manquent de qualification et leurs usages et vocations sont difficilement identifiables. Des projets naissent tels le réinvestissement de friches SNCF et la redécouverte du lien avec la Marne mais cela manque de liens et d’unité.

Une démarche transversale et opérationnelle de reconquête du centre-ville qui se base sur une compréhension fine du territoire permis par la maîtrise d’usage

Le potentiel est là par briques programmatiques. La vie locale est tenace et l’attractivité certaine. La pression foncière exercée sur la commune (environnée par les coteaux viticoles) implique de faire la ville sur elle-même, de croiser les échelles et de se demander ce que cela implique ailleurs. Notre approche s’est basée sur deux marqueurs de réussite : la proximité et la faisabilité.

  • Proximité : par l’exploration urbaine et la tenue d’actions in situ (vie ma vie de Sparnacien) allant questionner le rapport des habitants à leur ville (vivre à Epernay / manger à Epernay/se balader et découvrir Epernay).
  • Faisabilité : par la proposition d’actions matures réalisables, finançables (en coût et en entretien) et qui servent un dessin commun. Le plan-programme a été conçu à visée stratégique. Phasé avec des actions hiérarchisées, il n’est pas fixe et intègre dès sa conception des marges d’évolutivité.

Dans cette étude pas de plans thématiques, mais bien la construction d’un système par la mise en lien qui fait métabolisme territorial.

Une transversalité dans l’approche entre enjeux environnementaux et de biodiversité, espace public et mise en valeur du patrimoine, commerce et mobilités

Un processus de concertation mené par Aire Publique qui ré-interroge les prismes du réel par le biais d’une série d’ateliers : « Vivre à Épernay », « Manger à Épernay » « Découvrir Épernay » moteur de projet…

Réactiver et étirer le cœur de ville vers la Marne et le jardin de l’horticulture

Comme évoqué, le centre-ville d’Epernay souffre d’un déséquilibre vers l’est avec l’avenue de champagne qui draine une partie importante de flux. La place de la république crée une rupture plus qu’elle ne sert de lien. Ce verrou gagnerait à être réaménagé pour devenir une porte d’entrée et assurer le lien entre le centre-ville, l’avenue de Champagne, le secteur de la gare et du nouveau quartier des Berges de Marne.

La continuité piétonne symbolisée par les rues St Thibault/ St Martin doit jouer plus fortement le rôle de colonne vertébrale sur laquelle s’accrochent les espaces publics structurants, se déploient une multiplicité d’usages et le plateau marchand du centre-ville. La verticalité dans l’approche doit en complément s’accompagner d’une vision horizontale qui passe par plus de porosité et de liens interquartiers : aménagement des pénétrantes est/ouest et travail sur les accroches pour créer des effets de seuils (jalonnement et uniformisation des revêtements). La vocation des places (aujourd’hui colonisées par l’automobile) qui jalonnent ce parcours piétons a été questionnée afin de rendre l’espace à l’usage et d’en faire de réelles portes d’entrées du centre-ville.

La mise en valeur des accès à l’hyper-centre, le travail sur la fonctionnalité de chacune des places qui jalonnent ce parcours, la connexion des itinéraires modes actifs, permettra de créer des boucles de promenades qui viendront valoriser le cœur marchand et intensifier le degré d’urbanité du centre-ville. Le but étant que l’espace public mette en valeur le patrimoine et les commerces et que ceux-ci en retour participent à le rendre vivant et animé.

Faire la ville sur elle-même nécessite le réinvestissement des espaces SNCF, en friches, au nord de la voie ferrée. C’est le cœur du projet des Berges de Marne, nouveau quartier en frange de centre-ville, qui doit, à terme (par l’aménagement de liaisons et de continuités), devenir une partie intégrante de celui-ci. Il doit s’inscrire en continuité urbaine du centre-ville et en complémentarité sur le plan commercial. Ce n’est pas un programme rival mais bien solidaire au centre-ville dont Epernay a besoin.

Diversifier l’image touristique car le centre-ville d’Epernay ne se résume pas qu’à l’Avenue de Champagne :

Avec une ZPPAUP qui couvre l’entièreté de son centre-ville, Epernay est à même d’être fière d’un patrimoine qui en fait son histoire. La valorisation du patrimoine est aujourd’hui encore trop confidentielle et nécessite l’aménagement d’un jalonnement dédié. Là ou l’avenue de Champagne porte à première vue un déséquilibre au sein de l’armature urbaine d’Epernay, cet axe apparaît comme un atout de mise en lien entre les différents programmes du centre-ville, premier jalon constitutif de la boucle de promenade interne au centre-ville mais également externe par l’accroche aux coteaux viticoles.

Vers un système de parc : mettre en lien et favoriser les continuités écologiques 

Le centre-ville d’Epernay est maillé par un réseau plus ou moins dense d’espaces verts à conforter, à mettre en lien. Ils sont bien souvent repliés sur eux-mêmes, enserrés derrière des séparations grillagées et donc coupés de l’espace public. Si quelques alignements d’arbres structurent la trame urbaine, les interstices entre les ensembles de plantation en pleine terre sont quasiment exclusivement minéraux.

Les espaces publics traversés par les axes de parcours, arides, minéraux ne permettent pas les continuités végétales et l’activation d’une réelle biodiversité. L’une de nos fiches-actions aura été de dresser les outils opérationnels visant à développer des strates végétales au sein des espaces publics. Ces continuités forment des marqueurs d’orientation et des appuis visuels et de conforts lors de déplacements (espaces de fraicheurs).

Les bénéfices attendus ne sont pas à regarder seulement sous l’unique prisme des usagers du centre-ville mais aussi sous celui de la biodiversité qui y trouve un refuge (besoin d’habitats diversifiés, flore locale, gestion durable des espaces…). Les jardins privés densément arborés et ceux de l’avenue de Champagne ont un rôle à jouer. Bien préservés et assurant la continuité verte entre le centre-ville et les Berges de Marne, ils sont sanctuarisés et préservés comme le préconise le PLU.

Un système de parc qui doit porter un nouveau rapport de la ville à l’eau :

Malgré la forte influence de l’eau sur la structuration de la ville d’Epernay à travers le temps (transport de marchandise, fonction industrielle), le potentiel de valorisation de la Marne et de son affluent le Cubry est sous-valorisé. Les berges de la Marne sont circulées (par la voiture) et leur aménagement ne laisse pas de place au développement de chemins de promenade, comme si la ville tournait le dos à la rivière. Le Cubry, lui, est busé et rendu en grande majorité invisible.

Espace identitaire, la Marne constitue un élément de mémoire du lieu, un bien commun transmis, qu’il est aujourd’hui question de révéler, de rendre accessible et appropriable par tous. Il s’agit de créer de nouvelles connexions, de nouveaux usages afin de mettre en accord les aménagements avec les aspirations contemporaines. La rivière permet aussi bien de répondre à une demande croissante des riverains de voir maintenus des espaces naturels dans leur environnement et améliorer le cadre de vie, qu’à utiliser son fort potentiel identitaire et de représentations pour améliorer l’image de la ville par des aménagements de qualité.

Continuité écologique majeure de la commune, les berges de Marne aujourd’hui relativement anthropisées méritent une véritable revalorisation pour leur donner de l’épaisseur et favoriser leur réappropriation par les sparnaciens. Il s’agit d’y donner un espace conséquent pour les modes doux et de planter densément les berges afin d’en faire un lieu d’agrément support d’une biodiversité renouvelée. La mise en valeur des berges de Marne doit s’accompagner de l’aménagement de liens modes actifs agréables, plantés et sécurisés du centre-ville à la Marne.

Un centre-ville qui doit prendre soin de ses usagers :

Avec les changements globaux et sociétaux (vieillissement de la population au fort enjeu d’intégration et de maintien de l’autonomie), il y a l’émergence d’une nouvelle question urbaine et donc la nécessité d’une nouvelle pratique de l’urbanisme. Le projet urbain se doit d’atténuer le poids de nos activités sur le territoire et d’être pensé sous le signe de la santé et du confort multigénérationnel. Cela passe par la priorisation des modes actifs et la lisibilité/continuité des parcours, le confortement et l’extension des zones de calme et l’intégration au sein des aménagements futurs de points d’ombrages qui viendront tramer des parcours de fraicheur agréables en été.

Renforcer/construire les ilots de fraicheurs ne sont pas liés à la masse ou à la dimension des espaces. Le besoin ne se situe pas dans la création de grands parcs, ni de grandes connexions mais plutôt dans la création de petites ramifications qui prennent source dans des grands ensembles paysagers (bénéfice à partir de 100 m²). C’est la qualité des coutures entre les interstices qui révèleront les efforts entrepris par la renaturation de certains espaces. L’approche n’est pas linéaire autour de segments à aménager mais bien plus sur des systèmes de boucles qui relient Berges de Marne, Cubry, places publiques et ilots verts du centre-ville (jardins, parcs…) dont les activités doivent se diversifier et préfigurer la recomposition d’une agriculture urbaine de proximité. D’abord apprenant sur les bonnes pratiques alimentaires à destination des scolaires et familles, puis dans un second temps productifs, (permaculture, hors-sol, jardins potagers…) ces espaces doivent être vus comme les tiers lieux de demain : lieux d’échanges et de sociabilité.

En parallèle, la filière construction a également un rôle à jouer demain pour construire un centre-ville d’Epernay résilient en s’appuyant sur les notions de réemploi, de recyclage et de performance énergétique. Un cadre doit y être donné avec des incitations fortes en termes de réemploi de matériaux et utilisation de matériaux biosourcés ainsi que sur renforcement des exigences environnementales sur les opérations neuves.

L’objectif du schéma directeur du centre-ville d’Epernay n’est pas la simple valorisation d’une pièce de la ville, quand bien même le centre-ville constitue pour Epernay une pièce extrêmement importante. Il porte surtout, l’ambition de la mise en lien, à travers la construction d’une ville résiliente qui se reconnecte à son environnement qui reconstruit des « ponts » entre les espaces clés de la ville et qui redéfinit une échelle de mobilité interne avec des espaces dédiés aux modes actifs qui jouent aussi le rôle de parcours de fraicheurs. Cet objectif appréhende ainsi la centralité comme un ensemble/un tout mettant en avant les clés de réussite pour mener à bien le programme action cœur de ville : flexibilité, opérationnalité, transversalité.

Elias SOUGRATI